La mutation d'office: chausse-trapes de la gestion du personnel dans la fonction publique territoriale
Depuis une vingtaine d’années, les missions dévolues aux collectivités locales se sont développées. La fonction publique territoriale a dû répondre à ces nouvelles exigences en rénovant sa politique de gestion des RH pour la rendre attrayante et dynamique. A ce titre, la gestion de la mobilité de l’emploi s’est fortement accrue dans un cadre statutaire relativement contraignant.
Dans ce contexte, la mutation d’office se trouve au cœur de cet enjeu et constitue un outil managérial pertinent aux mains des collectivités si elle est engagée avec soin pour en déjouer les pièges.
LA MUTATION COMME OUTIL DE BONNE GESTION DU SERVICE
La mutation est d’abord conçue comme un moyen de gérer la mobilité de l’agent public, puisqu’il est au cours de sa carrière conduit à changer d'affectation, soit à sa demande, soit à la demande de la collectivité qui procède aux mouvements des fonctionnaires.
L’agent va changer d’emploi, d’affectation géographique et enrichir ainsi sa carrière.
La mutation est encadrée par l’article 52 de la loi du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et par la jurisprudence.
La collectivité doit systématiquement motivée la mutation au regard de l'intérêt du service qui revêt deux acceptions :
- un changement d’emploi sans modification de la situation de l’agent pour réorganiser le service,
- ou une mutation prise en considération de la personne, le changement d'affectation de celle-ci visant à assurer le bon fonctionnement du service et à juguler d'éventuels conflits par son déplacement.
La mutation est une mesure aux visages multiples, ce qui la rend complexe. L’analyse de la pratique administrative révèle que cette procédure demeure un mode de règlement des litiges, qui s’avère parfois délicate à utiliser.
MAIS AUSSI MODE DE REGLEMENT DES CONFLITS
La mutation est également utilisée pour gérer le comportement d’un agent à l’origine de tensions. Si le comportement nuit au fonctionnement du service, le déplacement de l’agent peut s’imposer à la collectivité. La jurisprudence valide la mutation d'office concluant à l’absence d’élément constitutif d'une sanction disciplinaire lorsqu'elle a pour but d'éviter des relations conflictuelles avec la hiérarchie et le personnel et permettre ainsi une gestion de l'établissement (CAA de Nancy, 2 déc 2004, May).
Dans le même sens, un agent pourra légalement être muté dans l’intérêt du service, si son comportement ne permet plus de disposer de la part du président d'une collectivité de la confiance nécessaire au bon accomplissement des fonctions. Le juge examinera si le comportement allégué est en inadéquation avec l'intérêt du service. Si la réalité du dysfonctionnement du service n'est pas démontrée la mesure sera annulée.
DES GARDE-FOUS PROCEDURAUX:
Prise en considération de la personne, la mutation doit être encadrée. Elle ne peut pas être décidée en tant de sanction ; en ceci, elle se distingue de la procédure disciplinaire puisque cette mesure ne peut être adoptée suite à une faute professionnelle de l’agent.
Des garanties existent pour protéger l’agent de l’arbitraire. Par principe, l'affectation doit se faire sur un emploi de même nature que celui qu'occupait l'agent précédemment et ne pas constituer un déclassement.
L'article 52 précité rappelle que la mutation est soumise à un formalisme dans l'hypothèse d'un changement de résidence administrative (changement de collectivité) ou d'une modification de la situation de l'agent (diminution de ses responsabilités), la commission administrative paritaire (CAP) devant être préalablement consultée pour rendre un avis.
De même, si la mesure est prise en considération de la personne, l'agent doit être mis en mesure de demander la communication de son dossier administratif.
En revanche, lorsque la mutation est prise dans l'intérêt du service sans considération de la personne, la CAP n'est pas saisie et l'agent ne peut consulter son dossier administratif, aucune garantie tant sur le fond que sur la forme ne lui est apportée.
une décision DELICATE à contester
Nous l’avons vu, la mutation d'office doit être prise pour assurer le bon fonctionnement du service et les éléments fondant la décision doivent caractériser l'intérêt du service.
En cas de contentieux, le juge administratif examinera l’intérêt du service allégué par la collectivité et vérifiera que les faits à l’origine de la mesure de mutation ne sont pas constitutifs d’une sanction disciplinaire déguisée, qui impliquerait des garanties particulières de protection des droits de l'agent.
L'agent muté qui souhaite contester la décision devra rapporter la preuve d’un détournement de pouvoir, d’une sanction déguisée ou du non respect d’une règle de forme.
Si la décision porte atteinte au statut de l'agent, à l'évolution de sa carrière ou opère un déclassement, les conclusions d'annulation aboutiront (TA de Grenoble, 1ermars 2011, « Péroni »).
De même, si la décision contestée entraîne une réduction importante des responsabilités de l’agent, une perte d'autonomie, ayant pour conséquence d'entraîner une baisse de rémunération le recours sera recevable. La collectivité doit veiller à tous ces éléments (CAA de Nantes, 2 mai 1996, Pulicani).
En revanche, quand diverses considérations s’entremêlent liées à l’intérêt du service et d’autres à la personne, il est plus délicat de démontrer que la décision constitue une sanction prise pour des motifs étrangers au service.
EXPRESSION TRADITIONNELLE DU POUVOIR HIERARCHIQUE :
La mutation consacre l'exercice du pouvoir hiérarchique de la collectivité. Cela explique que la jurisprudence valide les mutations visant à résoudre les dysfonctionnements rencontrés dans un service.
La frontière est ténue entre la mutation prise en considération de la personne répondant à l’objectif de bon fonctionnement du service assigné par la loi et la mutation qui s’analyse en une sanction qui peut être contestée.
C’est dans cette limite que se loge le pouvoir discrétionnaire de l’Administration, qui est perçu comme d’une grande sévérité par l’agent, tant il est vrai que le droit de la fonction publique privilégie généralement, in fine, l’intérêt général.
Ce pouvoir qui modifie la situation de l’agent et peut le troubler psychologiquement est parfois vécu comme une rétrogradation.
LA MUTATION : OUTIL A UTILISER AVEC CONSCIENCE
Que peut faire une collectivité dont le fonctionnement est handicapé par le comportement d’un agent ? Avant toute décision de mutation, elle doit vérifier la qualité de son dossier, s’assurer de l’existence de l’intérêt du service, respecter les formes et le cas échéant, privilégier le dialogue.
Longtemps utilisée à tort comme une sanction alors qu’il s’agit d’un moyen d’adapter les profils des agents aux postes, la mutation est nécessaire pour une bonne gestion des services et éviter leur paralysie.
Pour mener à bien une telle procédure et poursuivre sa quête d’efficacité, la collectivité doit faire preuve de nuance dans l’engagement de la procédure et veiller à ce que sa solution soit juste concernant l'appréciation des responsabilités des protagonistes opposés dans le litige. La mutation ne doit plus aujourd’hui être utilisée comme une sanction dans l’intérêt du service, mais se transformer en un outil de mobilité pertinent qui enrichit les carrières des agents, n’obère pas leur avenir et sert l’intérêt du service.
Article paru dans les Affiches de Grenoble et du Dauphiné le 2 septembre 2011.
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